Renouvellement de la prescription de lunettes par l’opticien
(par Matthew Robinson droit-medical.net )
Du médiatique à l’application des décrets
Explosion médiatique après la parution des décrets, en avril 2007, clarifiant les nouvelles possibilités offertes aux opticiens-lunetiers en matière de renouvellement d’une prescription de verres correcteurs. Du fantasme à la réalité, il y a bien souvent un gouffre. Il est apparu nécessaire d’étudier ce que la loi autorise réellement.
Commençons par le commencement ! Si vous avez plus de seize ans, tout opticien pouvait et peut toujours vous vendre une paire de lunettes au moment où vous le désirez. C’est la prise en charge de ces lunettes qui pose problème. Les délais d’attente chez l’ophtalmologiste, nés d’une volonté politico-économique, n’ont été qu’un prétexte à l’évolution législative. Ces délais, dus à une diminution du nombre de médecins, ont été constitués pour nuire à la facilité d’accès aux soins dans l’espoir de réduire les dépenses de santé. Cuisant échec ! Après avoir remercié de très nombreux candidats à la première année de médecine en France, la politique est brutalement corrigée par l’accroissement du nombre d’étudiants sur les bancs de la Faculté et par l’appel massif à des médecins formés à l’étranger.
Ce qui compte aux yeux du patient loin de ces considérations citoyennes, c’est le délai pour obtenir le papier lui accordant le remboursement de sa monture et de ses verres correcteurs, sa santé oculaire n’étant que secondaire si l’on en croit l’évolution de la loi. Le patient va maintenant pouvoir être remboursé de ses lunettes qui ne lui plaisent plus ou de ses verres de plus ou moins bonne qualité, rayés par manque de soins, sans lâcher son caddie dans la galerie marchande et sans risque que l’ophtalmologiste lui dépiste une maladie dont il se passe très bien. Progrès en termes de santé publique ? Impact sur le plus grand nombre en période électorale ? Difficile de croire en la démagogie du pouvoir législatif face aux enjeux de santé publique...
Tout n’est pas si simple
La loi n’est pas rétroactive. Si l’assurance maladie et les opticiens la respectent, il ne sert à rien de vous précipiter, puisque seules les prescriptions faites par un ophtalmologiste après la date de parution au Journal Officiel, soit le 14 avril 2007, sont censées être concernées. Cette évidence semble échapper involontairement ou, bien plus souvent, volontairement aux médias ou aux différents intervenants du monde de l’optique. L’intérêt du patient est-il vraiment à l’origine de ce fâcheux oubli ?
Autre point important : les décrets ne sont qu’un complément aux articles L4362-1 à L4362-11 du Code de la santé publique.
Plus particulièrement aux trois derniers que nous reprenons ici (tableau 1).
Article L4362-9
(Loi nº 2005-102 du 11 février 2005 art. 81 I Journal Officiel du 12 février 2005)
Les établissements commerciaux dont l’objet principal est l’optique-lunetterie, leurs succursales et les rayons d’optique-lunetterie des magasins ne peuvent être dirigés ou gérés que par une personne remplissant les conditions requises pour l’exercice de la profession d’opticien-lunetier.
Le colportage des verres correcteurs d’amétropie est interdit.
Aucun verre correcteur ne pourra être délivré à une personne âgée de moins de seize ans sans ordonnance médicale.
Article L4362-10
(inséré par Loi nº 2006-1640 du 21 décembre 2006 art. 54 II Journal Officiel du 22 décembre 2006)
Les opticiens-lunetiers peuvent adapter, dans le cadre d’un renouvellement, les prescriptions médicales initiales de verres correcteurs datant de moins de trois ans dans des conditions fixées par décret, à l’exclusion de celles établies pour les personnes âgées de moins de seize ans et sauf opposition du médecin.
L’opticien-lunetier informe la personne appareillée que l’examen de la réfraction pratiqué en vue de l’adaptation ne constitue pas un examen médical.
Article L4362-11
(inséré par Loi nº 2006-1640 du 21 décembre 2006 art. 54 II Journal Officiel du 22 décembre 2006)
Les opticiens-lunetiers sont tenus de respecter les règles d’exercice et, en tant que de besoin, d’équipement fixées par décret.
Tableau 1. Les trois derniers décrets.
La loi dispose donc clairement que les enfants de moins de seize ans ne sont pas concernés par l’adaptation. Elle dispose que l’opticien n’intervient que dans le cadre d’un renouvellement d’une prescription médicale, datant de moins de trois ans, et que le médecin peut s’opposer à l’intervention de l’opticien. C’est l’ordonnance qui doit dater de moins de trois ans et non les lunettes. Même si l’opticien a renouvelé vos lunettes il y a un an, par exemple, mais que l’ordonnance qui lui a permis de le faire a plus de trois ans au moment où vous revenez le voir, il ne pourra pas renouveler à nouveau les lunettes. Le patient doit, bien entendu, être une mesure de fournir l’ordonnance initiale qu’il faudra dorénavant conserver avec soin.
Pas de droit de prescription pour l’opticien
L’opticien n’avait et n’a toujours pas le droit de prescription. Il a la possibilité de renouveler et d’adapter lors du renouvellement une prescription de verres correcteurs si l’ophtalmologiste a considéré que l’état de santé du patient le permettait au moment de ladite prescription. Ce n’est pas une nuance, car il est clair que les opticiens-lunetiers qui effectueront un renouvellement ou une adaptation en dehors du cadre législatif ou en bravant une mention « non renouvelable » ou « non adaptable » verront leur responsabilité engagée au moindre problème. On peut compter sur les assureurs en responsabilité civile de ces derniers et sur les juges pour le leur rappeler très vite.
La loi précise bien que l’examen de vue réalisé par l’opticien n’est pas un examen médical. Celui qui voudra jouer à l’apprenti médecin risque lui aussi d’être sanctionné sévèrement. Affoler le patient sur son état de santé oculaire, dans le seul but de lui vendre une paire de lunettes, finira pour se retourner contre les rares opticiens qui pratiquent ainsi.
Le décret du 13 avril 2007 (tableau 2) réaffirme la possibilité pour l’ophtalmologiste de s’opposer à l’adaptation lors du renouvellement de sa prescription. L’ordonnance de lunettes n’est alors valable qu’une fois.
Article 1
Dans le cadre d’un renouvellement, l’opticien-lunetier peut adapter la prescription médicale des verres correcteurs à condition que le prescripteur n’ait pas exclu la possibilité d’adaptation par une mention expresse portée sur l’ordonnance.
Pour les patients atteints de presbytie, les dispositions de l’alinéa précédent s’appliquent sous réserve que le médecin ait prescrit la première correction de ce trouble de la vision.
L’opticien-lunetier est tenu d’informer le médecin prescripteur lorsque la correction est différente de celle inscrite dans l’ordonnance initiale.
Article 2
L’opticien-lunetier est identifié par le port d’un badge signalant son titre professionnel.
Article 3
L’opticien-lunetier déterminant la réfraction reçoit le patient dans l’enceinte du magasin d’optique-lunetterie ou dans un local y attenant, conçu de façon à permettre une prise en charge dans les bonnes conditions d’isolement phonique et visuel.
Les locaux sont équipés de manière à ce que l’intimité du patient soit préservée.
Article 4
L’opticien-lunetier s’interdit toute publicité et toute communication destinée au public sur sa capacité à déterminer la réfraction. [...]
Tableau 2. Décret n° 2007-553 du 13 avril 2007 relatif aux conditions d’adaptation de la prescription médicale initiale de verres correcteurs dans le cadre d’un renouvellement et aux règles d’exercice de la profession d’opticien-lunetier.
Adapter ne veut pas dire modifier
L’opticien ne peut pas modifier la prescription d’un ophtalmologiste qui vient d’être effectuée. Concernant une nouvelle prescription, les nouveaux décrets ne changent rien : si l’opticien constate une anomalie dans la prescription, il est de son devoir d’en informer le médecin qui valide ou non. C’est ce que fait la très grande majorité des opticiens. L’opticien qui change une prescription médicale qui vient d’être donnée au patient, sans demander l’avis du praticien, engage sa responsabilité.
Comme le pharmacien vérifie la cohérence de la prescription du médecin et l’appelle en cas de doute, l’opticien-lunetier, en tant que professionnel de santé, fait de même. La loi dispose que l’opticien informera le praticien lorsqu’il adaptera la prescription initiale datant de moins de trois ans. Il en est de l’intérêt du patient, afin que son dossier soit à jour.
Concernant le patient qui commence, vers l’âge de 45 ans en moyenne, à devoir éloigner ce qu’il veut lire ou à être gêné dans les travaux de près, qu’il porte ou non déjà des lunettes, il doit obligatoirement voir ou revoir un ophtalmologiste. C’est ce que dispose la loi en matière de presbytie. Pour obtenir sa première paire de demi-lune ou de progressifs, le patient passe obligatoirement par la case médecin. On peut penser que le législateur a voulu conserver un minimum de place au dépistage, en particulier du glaucome, grâce à cette disposition. La loi est claire : ce n’est pas l’opticien qui fait d’abord les lunettes et l’ophtalmologiste qui contrôle ensuite ; c’est le médecin qui fait la prescription, après examen, permettant d’obtenir la paire de lunettes corrigeant la presbytie. Par la suite, le patient aura la possibilité de s’adresser à l’opticien pour renouveler ses lunettes si la prescription date de moins de trois ans.
L’opticien-lunetier doit maintenant porter un badge. Voilà un progrès pour le patient-consommateur qui saura, de façon claire, qui s’adresse à lui. Le client pouvait être jusque-là perdu dans certains magasins d’optique. Cette transparence ne peut être que bénéfique.
Un local bien vide
L’opticien va devoir investir pour être en conformité avec la loi. Il lui faut au sein de son établissement un local adapté et peut-être même plusieurs s’il ne veut pas décevoir les clients pressés. Va-t-il, s’il est seul et ne pouvant déléguer l’examen à un employé non diplômé, instaurer un carnet de rendez-vous pour les jours de forte fréquentation ?
Que trouvera-t-on dans ce local, d’ailleurs ? Les décrets laissent en l’état la jurisprudence actuelle. L’opticien-lunetier fait son examen de vue grâce à la lunette-refractor (lunette d’essai), seul appareil qu’il était autorisé à utiliser. La jurisprudence évoluera-t-elle vers la possibilité d’utiliser un kérato-réfractomètre automatisé et un réfracteur (ou phoroptère) qui sont des appareils pouvant aider à adapter la réfraction ? C’est possible, mais l’opticien n’a qu’une prescription à adapter. Il a une solide base de départ et donc rien ne prouve que la jurisprudence doive évoluer et ce même avec l’Arrêté du 13 avril 2007 "modifiant l’arrêté du 6 janvier 1962 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou par des directeurs de laboratoire d’analyses médicales non médecins" où l’utilisation du matériel permettant de réaliser la réfraction n’était réservée qu’aux seuls médecins.
Une chose est évidente : l’utilisation de la lampe à fente (biomicroscope) et du tonomètre (appareil permettant de mesurer la pression intraoculaire) est toujours interdite à l’opticien-lunetier. Ces appareils ne servent en rien à derterminer une réfraction. L’adaptation des lentilles de contact reste aussi un acte purement médical selon un principe de sécurité pour la santé publique [1].
Publicité et remboursement
Juste prolongement de la convention opticiens-assurance maladie où des restrictions sur la publicité existent déjà, l’interdiction de communiquer sur la réfraction est maintenant dans la loi. Quand on connaît le mépris actuel, dans le monde de la publicité pour l’optique, concernant cette convention, c’est avec un petit sourire que l’on accueille ce voeu pieux [2].
Voyons enfin, le point qui intéresse le plus le patient : les lunettes vont-elles être prises en charge par l’assurance maladie ? Vais-je y avoir droit ?
La réponse est oui. Tout a été prévu (tableau 3).
Article 1
L’article R. 165-1 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié : [...] 2° Après le premier alinéa, il est inséré un deuxième alinéa ainsi rédigé : « Peuvent également être remboursés par l’assurance maladie les verres correcteurs et, le cas échéant, les montures correspondantes, inscrits sur la liste prévue à l’article L. 165-1, délivrés par un opticien-lunetier en application de l’article L. 4362-10 du code de la santé publique. A chaque renouvellement, l’opticien-lunetier mentionne sur la prescription la nature des produits délivrés et la date de cette délivrance. » [...]
Tableau 3. Décret n° 2007-551 du 13 avril 2007 relatif à la prise en charge des dispositifs médicaux prescrits par les infirmiers ou adaptés par les opticiens-lunetiers et modifiant l’article R. 165-1 du code de la sécurité sociale.
Comme pour le renouvellement d’une ordonnance de médicaments, l’opticien indiquera sur celle-ci ce qu’il a délivré et quand il l’a fait. Comme nous l’avons déjà vu, le patient doit être en possession de son ordonnance.
(source droit-medical.net mardi 24 avril 2007 - Matthew Robinson)